Il ne supporte pas la contradiction, impose ses volontés jusqu'à la violence. Pourtant, l'enfant roi est avant tout une victime.
Enfant roi : un
petit tyran en grande souffrance
Il ne supporte pas
la contradiction, impose ses volontés jusqu'à la violence.
Pourtant, l'enfant roi est avant tout une victime.
Il coupe la parole
aux adultes, négocie leurs décisions, impose un mode de
fonctionnement en sa faveur : l'enfant roi a tout d'un
dictateur. Intolérance à la frustration, aux intimidations et aux
menaces, il épuise tous ses adversaires, à commencer par ses
parents. Si de nombreux spécialistes assurent que l'enfant roi est
rarement un « traumatisé », ils s'inquiètent des
conséquences à long terme sur son psychisme, surtout lorsque son
comportement devient pathologique, passant d'un enfant roi à un
enfant tyran.
De
l'enfant roi à l'enfant tyran
Le concept
d'« enfant roi » désigne un enfant maintenu « dans
l'illusion de la toute-puissance infantile » Ses symptômes
sont nombreux : « intolérance à la frustration,
sentiment permanent d'insatisfaction, agitation motrice, instabilité,
absence totale de retenue, troubles du comportement, dépression
masquée, sentiment de toute-puissance », Lorsque son état
devient pathologique, il devient un « enfant-tyran »,
dont les symptômes « témoignent plus d'intensité, de
souffrances, de désespoirs, que ceux de l'enfant roi et, au-delà
des mots, s'expriment par des passages à l'acte violents »,
Dans son dernier
ouvrage De l'enfant roi à l'enfant tyran, le docteur en
psychologie Didier Pleux décrit ce passage de l'enfant capricieux
« qui pousse à bout » à l'enfant tyran qui domine par
la violence : « L'enfant roi gagnera petit à petit
une série de combats familiaux, contestera les règles, les
refusera, les changera et agressera quiconque voudra rétablir
l'ordre. Puis il sera seul au pouvoir. L'omnipotence virera vite au
despotisme. » Violences physiques et verbales, agitation
motrice, intimidations, victimisation comme mécanisme de défense…
Didier Pleux décrit un comportement tyrannique qui s'illustre dans
un « individualisme exacerbé ». L'enfant finit par
prendre des décisions qui ne lui appartiennent pas, comme le choix
du repas ou du programme télé du dimanche
Un
problème d'éducation, une souffrance insupportable
Mais ce petit
« despote » est avant tout la victime d'un amour
démesuré. « Je n'ai constaté aucune carence affective,
mais au contraire une survalorisation de leur personnalité »,
assure Didier Pleux. Ces enfants souffrent d'un « excès
de moi », décrit Didier Pleux, à défaut de l'autre, la
figure d'autorité. Victimes de leur « hyper-ego », ils
se construisent sans repères, dans l'échec social et scolaire.
Le docteur en psychologie prévient des effets néfastes sur
l'épanouissement futur de l'enfant : « Les enfants qui
n'ont pas de limites deviennent tout-puissants et très vulnérables.
Il faut un changement radical de culture parce que, oui, il faut bien
sûr une asymétrie dans la famille. »
L'essor de
l'éducation dite « positive », qui se veut
« bienveillante », aboutit à une écoute
inconditionnelle de l'enfant, au détriment de son propre
épanouissement. Selon les spécialistes, ne pas savoir se heurter au
« non », faute d'avoir pu développer des stratégies
d'adaptation, engendre une incapacité à supporter le réel. Cette
frustration ou « le fait qu'une pulsion ne peut être
satisfaite » – selon la définition de Freud – devient dès
lors une souffrance insupportable.
Le véritable
risque, n'est pas tant que l'enfant rejette la frustration en vivant
dans l'illusion de la réalité, le risque, c'est qu'il y reste :
« Il y a dans le développement de l'enfant une période –
entre 2 et 5 ans environ – où l'enfant vit au
travers d'une “pensée magique”, où ce qu'il désire ne peut
qu'arriver. Il est dans ce que Freud appelait le principe de
plaisir, qui prévaut sur le principe de réalité. À
cette époque du développement, c'est normal. Mais si les
parents ne mettent pas de limites, le principe de
plaisir continuera de prévaloir sur celui de la réalité. Il
dérivera alors lentement dans sa propre réalité, ce qui amène à
une psychose infantile. »
Défaillance
parentale
Si la carence
éducative de ces enfants est évidente, comment l'expliquer ?
Comment expliquer ce lien pathologique qui peut se développer
entre parents et enfants ? Un adulte qui a vécu une faille
narcissique dans l'enfance a nécessairement un sentiment d'abandon
inconscient, qui l'empêche de mettre des limites à son enfant,
parce que « s'il le brime, s'il le frustre, il projette son
propre sentiment d'abandon, sa propre douleur originelle
finalement », explique Aline Frossard. « Un jour, une
mère m'a déclaré en pleine consultation : Ça m'est égal
d'être tyrannisée, si ça peut faire du bien à mon fils ! Voyez
comme le mécanisme est inconscient ! »
Malheureusement,
l'effet sur l'enfant est totalement opposé à celui escompté,
puisqu'il le prive de sécurité. « S'il n'y a pas de limite,
l'enfant peut aller toujours plus loin, les parents n'ont plus la
force de lui résister. Par conséquent, si l'enfant est plus fort
que ses parents, qui va le protéger ? »
Outre la souffrance
pour le petit, à la fois victime et acteur inconscient, sont à
redouter des pathologies graves allant de troubles obsessionnels
compulsifs à la psychose ou à la dépression. Quand bien même ces
dérives ne sont pas systématiques, l'enfant roi se construira dans
une confusion douloureuse entre réalité et plaisirs fantasmatiques.
« L'enfant doit être reconnu, aimé, protégé, mais il faut
aussi qu'il apprenne [...] qu'il y a une réalité, laquelle n'est
pas forcément drôle. Ce n'est pas de la haute théorie, c'est du
bon sens », rappelle Didier Pleux.